Je m’appelle Evelyne mais tout le monde m’a toujours appelée Eva. J’ai rencontré Manolo lorsque nous étions encore au lycée. Il était un peu plus âgé que moi mais nous étions assez proches. Je le considérais comme un grand frère. Nous avions plusieurs amis en commun, et nous sortions souvent tous ensemble. Avec le temps, malheureusement, nous nous sommes perdus de vue. Nous avons suivi des trajectoires différentes pour nos cursus universitaires respectifs et n’avons pas gardé le contact. Quelques années plus tard, je suis rentrée dans mon pays d’origine. Je travaille dans un des plus grands hôpitaux de la ville en tant qu’interne en chirurgie.
Récemment, j’ai retrouvé Manolo sur Facebook. Je surfais sur la toile un soir et je suis tombée sur une de ses photos. J’ai alors regardé son profil, et j’ai trouvé des photos de lui dans des endroits très luxueux, avec de belles voitures, des photos de ses montres etc… Je me suis interrogée sur ses activités et je lui ai envoyé une demande en espérant reprendre contact avec mon ami de longue date. Quelques heures après, il m’a envoyé un message. C’était bien lui, Manolo. Il m’a tout de suite demandé mon numéro de téléphone afin qu’on s’appelle pour discuter. Nous nous sommes donc appelés et j’étais très contente de lui parler. Nous sommes restés au téléphone pendant une bonne heure, à parler de nos vies, de nos relations amoureuses, et d’autres sujets aussi banals les uns, les autres. Manolo était célibataire, comme moi. Les jours qui ont suivi ont été très agréables, il m’appelait tous les soirs, en caméra pour la plupart du temps. Il m’appelait « ma chérie », me disait que j’étais sa femme etc… Je savais que c’était pour plaisanter mais c’était plaisant et drôle donc je me prêtais au jeu.
Un jour, lors d’une conversation, je me suis rappelée des photos que j’avais vues sur son profil. Je lui ai alors demandé ce qu’il faisait comme métier et il m’a tout simplement répondu qu’il travaillait pour le gouvernement du Nambutu en Afrique Centrale. Etant donné qu’il était originaire de ce pays, je me suis dit que « ceci expliquait cela » et je n’ai pas cherché à en savoir plus de sa part. Je me rappelais seulement que lorsqu’on était au lycée, son père était ambassadeur du Nambutu, je me suis dit alors que son père avait dû l’introduire dans le gouvernement. Après notre conversation, curieuse d’en savoir un peu plus sur mon ami, j’ai tapé sur internet le nom de son père et j’ai découvert qu’il était le Président de la République du Nambutu. J’étais étonnée mais pas surprise, ça ne pouvait être que la suite logique des choses.
Nos conversations s’intensifiaient de jour en jour. Lorsqu’on était en appel vidéo, il me présentait à ses amis comme étant sa « future femme », et disait à qui veut l’entendre qu’il me ferait venir à Nidjali, la capitale du Nambutu, où il habitait. Manolo était bel homme, j’étais flattée et je commençais à me faire un petit film dans ma tête, en train de dîner, par exemple avec mon beau-père le président de la république du Nambutu. Je commençais à le prendre au sérieux.
Et puis un soir, lors de notre coup de fil habituel, il m’a dit clairement qu’il voulait que je vienne le voir à Nidjali. Je n’y croyais pas. Il m’a dit d’un ton sérieux : « Il faut que tu viennes à Nidjali, juste un week-end parce que la semaine je suis très occupé. Je vais tout organiser. Ne t’inquiète pas, je prends tout en charge, donne-moi juste tes dates ». C’était clair, il voulait que je vienne le voir. Etait-il tombé amoureux ? La fréquence et la durée de nos conversations me laissaient supposer en tout cas que je ne lui étais pas indifférente. J’étais très heureuse à l’idée de partir. Je lui ai donc dit que je verrai avec la clinique dans laquelle je travaille, pour pouvoir m’absenter un week-end. Lorsque j’ai eu l’accord de la DRH, j’ai informé Manolo et nous avons organisé le week-end. Il était question que j’arrive un vendredi et que je reparte le lundi qui suit. Cela me paraissait court mais je savais qu’il était occupé donc je ne voulais pas abuser de sa disponibilité.
Billet première classe, visa pour le Nambutu envoyé depuis là-bas, je n’avais rien à faire que de monter dans l’avion. Personne ne m’avait jamais invitée de la sorte. Je trouvais ça tellement gentil de sa part.
Je croyais comprendre ce qui se cachait derrière cet acte. On dit souvent que « l’acte apparent prouve l’intention secrète » et cela me rendait heureuse. On venait à peine de reprendre contact, on s’appelait tous les jours, le courant passait très bien entre nous, à coup sûr, il voulait concrétiser quelque chose. Je devais alors être prête, parce que, soyons honnête, j’étais très intéressée. Je le trouvais, beau, drôle, et surtout très intelligent. Sans oublier le fait qu’il était quand même fils de président. Un jour, il m’a demandé de lui montrer mon appartement en vidéo. Il l’a trouvé pas mal mais m’a dit qu’il pensait qu’il fallait refaire la décoration pour que ce soit un peu comme chez lui. J’imaginais tout de suite des lustres au plafond, des fauteuils en cuir, du marbre partout etc… Ma vie allait changer. Quoiqu’il en soit, j’étais prête à partir et à assumer mon destin de femme de ….
Je devais me préparer. J’ai pris le peu d’économie que j’avais et je suis allée m’acheter de très beaux vêtements. J’ai refait ma garde-robe. J’étais prête pour un dîner à la présidence, pour une ou deux soirées de gala, un pique-nique dans les jardins présidentiels, le déjeuner familial du dimanche, le safari et même pour la piscine, j’avais choisi un maillot de bain incrusté de pierres précieuses au cas où. Il est le fils du président, il travaille pour le gouvernement, il devait être à la hauteur quand on se promènera ensemble, mieux que je fasse envie aux filles de là-bas et honneur à sa famille. J’ai pris plusieurs robes et des chaussures à talons. J’ai emprunté des sacs de luxe chez ma meilleure amie et j’ai fait un tour chez l’esthéticienne : épilation, cils, sourcils, manucure, pédicure, bref, tout était prêt pour que ça se passe bien. Avant de partir j’ai même pris à crédit des nouveaux meubles pour mon salon, persuadée que je les paierai à mon retour du Nambutu. Du moins, c’est ce que je croyais.
Le jour du départ est arrivé. J’étais un peu euphorique à l’idée de le revoir, car cela faisait vraiment longtemps. Quand je suis arrivée à l’aéroport de Nidjali autour de 17h, à ma grande déception, il n’était pas là. Le comité d’accueil qui était censé venir me chercher sur le tarmac, non plus. Il n’y avait personne. Ce n’était pas bon signe pour moi. J’ai trouvé cela surprenant étant donné que Manolo est quand même le fils du Président. Je suis restée positive me disant qu’il avait eu un imprévu. Finalement, les gardes du corps sont arrivés en retard, je les attendais dans le hall de l’aéroport avec mes bagages. Ils m’ont conduite à l’hôtel dans une belle limousine par contre. Manolo m’attendait à l’hôtel. J’étais contente de le revoir, il n’avait pas vraiment changé. Il était toujours aussi classe et très charmant. Il m’a fait une accolade fort sympathique suivie d’une tape sur l’épaule et m’a aidé à faire le check-in. Ma chambre était une magnifique suite au dernier étage avec vue sur la mer. J’étais émerveillée. Je le voyais déjà passer la soirée avec moi, autour d’une bouteille de champagne, parlant de notre futur. Quelques minutes après notre arrivée dans la suite, il m’a dit qu’il avait un truc à faire mais qu’il n’en aurait pas pour longtemps et qu’il reviendrait me chercher à 20h00 pour aller au restaurant. J’ai pris ma douche, je me suis faite toute belle, maquillée, coiffée, parfumée. J’ai choisi de porter une jolie combinaison noire de chez Gucci avec des escarpins Louboutin rose en peau de serpent et un sac noir de chez Dior. J’étais toute pimpante et prête à passer une merveilleuse soirée. Seulement, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Je l’ai attendu jusqu’à 22h30 sans nouvelles. Je l’ai appelé plusieurs fois, lui ai envoyé pleins de messages en vain. Il a fini par se pointer à 23h15, m’expliquant qu’il avait eu un imprévu au travail. Il est venu avec deux hamburgers et deux coca. Nous avons diné dans la suite avant de nous séparer autour de 00h30. Bilan des courses, personne n’est venu me chercher à l’aéroport, et j’ai passé à peine une heure avec lui. J’étais dégoûtée mais je gardais espoir pour les jours suivants.
Le lendemain matin, je suis descendue prendre le petit déjeuner au restaurant de l’hôtel. En effet, la veille il m’avait dit que c’était compris dans le prix de la chambre, et que donc je pouvais me faire plaisir. Je pensais qu’il serait venu me tenir compagnie, mais il ne l’a pas fait. Il devait être occupé, me suis-je dit. Quand j’ai fini je suis remontée dans ma chambre et l’ai appelé pour connaître le programme de la journée. Il m’a dit qu’il passerait me prendre à midi pour aller déjeuner et qu’ensuite on irait voir des œuvres d’art. J’avais retrouvé espoir qu’il se passerait enfin quelque chose entre nous. Il est venu me chercher autour de 12h30. J’avais mis une robe jaune et des sandales blanches. J’avais fait des boucles anglaises avec mes cheveux et mis de petites boucles d’oreilles en or qui avaient l’habitude de me porter chance. J’espérais qu’il me ferait un compliment, mais rien. Il me traitait comme une amie. Il voulait me faire découvrir la nourriture locale. Nous sommes allées dans un restaurant dont le cadre était particulièrement somptueux. Il avait réservé une arrière-salle uniquement pour nous deux. Quel romantisme ! J’avais trop vite parlé. Deux de ses cousins nous ont rejoint et nous avons déjeuné à quatre. L’ambiance n’avait rien de romantique mais je restais toujours joviale et détendue. J’avais été très appréciée par ses cousins qui se félicitaient de rencontrer leur « belle » à Nidjali. Après le déjeuner, nous sommes allés tous les deux dans un marché. Je n’ai pas trop compris pourquoi au début, mais il m’a expliqué que c’était le marché des œuvres d’art dont il parlait toute à l’heure. Et moi qui pensais à une galerie d’art… effectivement il y avait toutes sortes de bijoux artisanaux, de sculptures et de tableaux. Nous ne sommes pas descendus de la voiture. Le vendeur était appelé par le garde du corps, il apportait sa marchandise, je choisissais sans même ouvrir la fenêtre, le garde payait et on continuait. J’ai pris quelques bricoles et nous sommes partis car je n’étais pas très à l’aise avec cette façon très particulière de faire des achats. Ce qui était étrange, c’est qu’à chaque fois qu’on sortait, tout le monde, que ce soit ses proches ou le personnel, m’appelait « madame », ce qui laissait croire que nous étions ensemble. Mais je peux vous assurer que, pour le moment du moins, ce n’était pas le cas. J’étais perdue car je ne comprenais vraiment pas la raison de ma venue à Nidjali. Il se comportait de façon très cordiale avec moi, mais paradoxalement, son entourage pensait qu’on était ensemble, il les laissait dire et ne démentait rien du tout. J’ai plusieurs fois songé à lui demander ce qu’il en était réellement de nous deux mais je ne voulais pas le brusquer. C’était mon deuxième jour, j’allais attendre de voir la suite des événements.
Après l’épisode assez particulier du marché, il m’a déposée en bas de l’hôtel et m’a dit qu’il m’appellerait pour organiser le programme de ce soir, car il devait se rendre au bureau. Déçue qu’il ne m’accompagne jusqu’à ma chambre, je suis montée et j’ai pris un bain. Il m’a appelée vers 22h00 pour m’expliquer que ce soir, il ne serait pas disponible mais que demain nous irions passer la journée sur un bateau avec sa famille. Je me suis occupée comme j’ai pu au point de m’endormir aux environs de 00h30. Le dimanche matin, je me suis levée particulièrement tôt parce que je voulais profiter de ma dernière journée étant donné que je partais le lendemain matin très tôt. Je suis descendue prendre le petit-déjeuner seule, sans surprise et je suis remontée l’attendre dans ma chambre. Quand il est arrivé aux alentours de 11h15, j’étais déjà prête. Je portais une belle robe en dentelle de calais blanche avec des mules plates bleue ciel de chez Dior. J’avais attaché mes cheveux en chignon pour faire ressortir mes grosses boucles d’oreilles pendantes Yves Saint-Laurent. Je me disais que si je faisais bonne impression devant sa famille, ça lui donnerait envie de se sauter le pas et de tenter quelque chose avec moi. Encore une fois, je m’étais trompée. Nous avons passé tout l’après-midi sur un bateau luxueux, il y avait tout, à bord, et le personnel était entièrement à notre service. Ses parents n’étaient pas de la partie. Nous étions une dizaine de jeunes à parler de tout et de rien. Il y avait en grande majorité ses cousins et ses cousines et quelques enfants de ministres aussi. On sentait qu’ils étaient tous de bonnes famille.s Ils étaient tous très classe. Je m’étais bien défendue car ma robe m’allait à merveille et je sentais les regards m’admirer. J’étais «la belle » pour certains et « madame » pour d’autres. C’était assez perturbant. Mais j’ai joué le jeu. J’étais la mieux habillée de toutes.
Lorsque nous sommes rentrés à l’hôtel ce soir-là, je lui ai demandé :
– Pourquoi tout le monde m’appelle « madame » depuis mon arrivée?
– Tu veux qu’on t’appelle comment ? « Monsieur » ? Tu es une dame non ?
Il a rigolé tout seul et j’ai fait mine de sourire. Ce n’était pas vraiment la réponse que j’attendais mais j’avais compris une chose c’est qu’il ne se passerait rien entre lui et moi. Bredouille, je suis rentrée dans ma chambre et j’ai commencé à préparer mes valises pour prendre mon avion le lendemain matin. J’étais très déçue de mon séjour, je m’attendais à recevoir des cadeaux, qu’il m’emmène faire du shopping, qu’il me couvre de bijoux, vraiment je m’attendais à tout sauf à ça. L’escorte m’a accompagnée à l’aéroport, car Manolo a eu un empêchement de dernière minute dont il s’est excusé. Le protocole m’a conduite comme une princesse jusqu’à l’avion. Je suis rentrée chez moi, le lundi midi, toujours en première classe mais très amère. Je ne comprenais pas pourquoi il m’avait invitée. Etait-ce de l’amitié ? Jusqu’à preuve du contraire, je ne lui avais pas dit que je cherchais un ami, et c’est lui qui avait commencé avec ses appels nocturnes. En plus d’être aigrie, j’étais stressée car les gens à qui je devais de l’argent, entre autres pour les meubles, commençaient à me harceler. Effectivement, étant persuadée que je rentrerais fortunée, je leur avais dit que je les paierai très vite car ce n’était qu’une histoire de deux à trois jours. Pendant plus d’une semaine, j’ai fait croire à certains que j’étais restée bloquée à Nidjali pour pouvoir échapper aux dettes et à la honte. Je n’avais jamais été aussi frustrée de toute ma vie. Jusqu’aujourd’hui, je n’arrive pas à m’expliquer ce qui s’est passé et la raison de ce voyage. Je reste fairplay car j’ai été bien reçue quand même. Nous nous écrivons de moins en moins. Bref, il était une fois Manolo, le fils du président.