Grand nombre de veuves se posent des questions sur la mort, après le décès de leur mari. Les veuves togolaises vivent des épreuves douloureuses et les premières années de veuvage sont en général les plus difficiles à surmonter. C’est son histoire que nous raconte Hortense Naka TCHAMDJA, sur la terrasse ensoleillée de sa demeure conjugale, restée intacte après le décès de son mari, il y a 22 ans.
Elle nous explique les débuts de son association qu’elle a créée à son retour d’un pèlerinage à Lourdes, et comment de trois, quatre, puis neuf femmes, elles ont aujourd’hui plus de 950 veuves au sein de « Espérance-vie ACVO Togo ».
Qui est Hortense Naka TELOU épouse TCHAMDJA ?
Je suis née le 31 décembre 1954 à Yadè Sodè dans la préfecture de la Kozah. Je suis fondatrice de l’association « Espérance et Vie ACVO Togo » créée le 7 juin 1997 qui a pour objectif de venir en aide à la veuve et à l’orphelin en améliorant sa situation en général et particulièrement dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’entreprenariat féminin et le micro-financement. Je suis actuellement Ambassadrice du projet WEENA lancé par MOOV Togo depuis décembre 2012.
Parlez-nous de votre enfance et du cadre parental dans lequel vous avez évolué.
J’étais une enfant très dynamique. Je voulais aller à l’école bien que dans mon village on n’aimait pas que les filles aillent à l’école. Vu mon enthousiasme et ma détermination, mon oncle enseignant a sollicité auprès de mes parents que je vienne habiter chez lui. Nous sommes une famille de onze enfants dont huit de ma mère et je suis la benjamine. Après plusieurs hésitations ma mère a fini par accepter et m’a laissée partir avec mon oncle. J’ai quitté mes parents avant l’âge de 14 ans et j’ai suivi mon oncle dans la plupart de ses localités d’affectation.
Où avez-vous fait vos études primaires, secondaires et supérieures ?
J’ai eu mon CEPD en 1967 à Lassa. Je suis ensuite allée à Sokodé dans la région centrale pour préparer mon Certificat d’aptitude Professionnel (CAP) en Enseignement Ménager. A Sokodé, je n’étais plus avec mon oncle et les conditions de vie étaient devenues très difficiles, jusqu’au jour où j’ai rencontré la Révérende Soeur Marie-Jésuna GBIKPI qui m’a hébergée à l’internat Notre Dame des Apôtres.
En 1971, j’ai eu mon CAP. Je suis entrée, à l’issu d’un concours, à la Maison Familiale de Formation Rurale durant trois ans. On apprenait la couture, la cuisine, le ménage disons un peu de tout, cela m’a permis d’encadrer les acteurs de ses différents secteurs et même les paysans. On pouvait à l’époque intégrer facilement les affaires sociales. C’est dans cette optique que j’ai quitté le centre en décembre 1974 pour Lomé.
Quel est votre statut matrimonial actuel, avez-vous des enfants ?
Je suis veuve. Je me suis mariée en 1975 avec Alain TCHAMDJA, qui était un ami de mon grand frère. Nous avions grandi dans le même quartier. Il m’a été d’un grand soutien moral dans mon cursus de formation. C’était un homme très gentil, très attentif et surtout très sociable. Moi, je suis une femme battante, charitable, rigoureuse mais pas très douce. Nous avons eu cinq enfants : un garçon et quatre filles. Nous avons, ensuite, adopté un garçon. J’ai donc six enfants et aujourd’hui neuf petits-enfants.
Pour la petite histoire, les kabyès aiment beaucoup les enfants mais quand vous ne faites pas de garçons, ça parle un peu partout (rires). J’avais 43 ans quand j’ai perdu mon mari, décédé à l’âge de 46 ans. Cela a été un coup très dur pour moi jusqu’à ce jour mais je me suis battue et tous mes enfants ont réussi.
Quelles fonctions avez-vous exercées à ce jour ? À part le travail de formatrice à la Maison Familiale de Formation
Professionnelle de Sokodé, j’ai eu mon premier emploi un an après la mort de mon mari. J’ai été employée de bureau à Togo Fruit de 1975 à 1982. J’ai aussi travaillé de 1985 à 1986 à Togo Pharma. J’ai, par la suite, géré une structure de mon mari spécialisée dans l’envoi express (Lomé Courrier Express).
Au plan local, qu’apportez-vous aux membres de votre association ?
Tout d’abord l’objectif est de briser l’isolement des veuves et de les rapprocher les unes des autres car j’ai compris la souffrance des veuves après le décès de mon mari. C’est une longue traversée du désert. Lorsque vous devenez veuve, tout s’effondre autour de vous du jour au lendemain.
La solitude est un poids quotidien et le regard des autres, un fardeau supplémentaire. Être ensemble est une forme de soutien moral et spirituel très important qui nous permet de revivre. Nous avons commencé à partager nos solitudes à mon domicile à travers des causeries, des prières, des petites entraides pour pouvoir manger. J’ai commencé ces rencontres avec une veuve du nom de Mme Ouradei.Epe.Tiadjeri qui me rendait visite tous les soirs. Nous sommes d’ailleurs toujours très proches.
On parlait de notre quotidien et on priait. Puis il y a eu une grande conférence des femmes au CESAL de Tokoin le 9 février 1997. C’était le déclic. Quelques mois plus tard, le 7 juin de la même année, j’ai lancé l’association « Espérance et vie ACVO Togo ». Nous étions trois au début, on est passé à neuf et petit à petit le groupe des veuves s’est agrandi avec d’autres petits groupes autonomes dans plusieurs quartiers de la capitale notamment à Bè, Kisito, Agoè-nyivé, Vakpossito, Adamavo, Baguida, Avépozo ainsi qu’à l’intérieur du pays.
Quelle est la mission de « Espérance vie ACVO Togo » ?
La mission de “Espérance et Vie ACVO – TOGO” est, entre autres, d’écouter les veuves, de les soutenir pour qu’elles retrouvent leur équilibre, de les accompagner spirituellement dans ce long parcours qu’est le veuvage et de faire entendre la voix des veuves à tous les niveaux de la société. Nous les amenons à prendre conscience de leurs droits et mettons à leur disposition des outils et des ressources nécessaires pour qu’elles s’épanouissent individuellement et collectivement.
Quelles sont les régions du Togo dans lesquelles résident les membres de votre association, et quel est leur effectif ?
Espérance et Vie – ACVO Togo a des antennes à Lomé et à l’intérieur du pays dans les villes de Yadè, Sotouboua, Sokodé, Kara, Pagouda et Kétao. Chaque antenne est dirigée par une présidente. Nous avons un effectif de 986 femmes et 2 hommes volontaires dans le groupe. La présidente actuelle de ACVO Togo est Mme POYODE Marie-Thérèse.
Quelles sont les régions où les veuves et les orphelins sont plus nombreux ?
Les veuves sont partout mais selon les chiffres de l’Association, je dirai qu’elles sont un peu plus nombreuses dans la région de la Kara.
Est-ce qu’il y a des assistances judiciaires pour les femmes en cas de conflits successoraux ?
Non, il n’y a pas d’assistance judiciaire à proprement dite mais nous travaillons en collaboration avec la Commission Justice et Paix de l’Eglise Catholique en cas de conflits familiaux. Après trois années passées au sein de l’association, la veuve peut décider de se remarier ou de se consacrer à l’église. Moi, je ne me suis plus remariée parce que je ne me vois pas le faire. Alain, mon mari, est toujours présent dans mes souvenirs comme si son départ datait d’hier.
Quels sont les conseils que vous pouvez donner principalement aux jeunes veuves ?
Vous savez, quand on devient brusquement veuve, tout s’écroule autour de vous. Certaines personnes vont jusqu’à rire de vous. Votre belle-famille peut aussi se retourner contre vous. Vous vous retrouvez seule avec les enfants et il est parfois très difficile de se reconstruire. A ce moment-là, la solidarité est très importante.
Rencontrer d’autres femmes qui ont traversé la même souffrance et qui se sont reconstruites est la meilleure thérapie pour s’en sortir. J’encourage les jeunes veuves à suivre leurs vocations. Si elles veulent se remarier et fonder une famille, qu’elles se donnent le pouvoir de le faire. Je leur fais comprendre que la veuve ne doit pas rester sans rien faire, car cela peut la pousser à la débauche (l’abus d’alcool, la prostitution, la délinquance, l’abandon des enfants etc…) Nous les encourageons à encadrer leurs enfants par le travail.
Quels sont vos projets ou qu’est-ce que vous aimeriez encore faire pour votre association ?
Je veux continuer dans ce sens. Mon voeu le plus cher est de continuer de voir fleurir l’esprit de partage, la solidarité l’amour au sein de l’association.
Pouvez-vous nous parler de ASSILASSIME SOLIDARITE ?
Assilassimé Solidarité est une microfinance sociale au Togo qui ne demande ni garantie, ni caution et sert donc les personnes les plus vulnérables en leur apportant un accompagnement complet. ASSILASSIME a encadré gratuitement les femmes de notre association en leur accordant des prêts. Je siège au sein de son conseil d’administration. Ce qui importe c’est de dire à chaque femme : « LÈVE-TOI ET MARCHE ! ».
Quelles sont vos relations avec le Centre Rayons de Femme de Blainville en France ?
C’est un centre qui nous a aidées à nous structurer. On travaillait sans plan et leur apport a été de nous aider à faire un plan de travail triennal et à structurer notre association afin qu’elle corresponde à notre idéal.
Elles nous ont aidées avec 1200 dollars par an, une somme que nous n’avions jamais perçue auparavant puisque nous avions commencé sans rien. Les rencontres avec le Centre Rayons de Femme de Blainville nous ont permis d’élaborer de nouvelles activités et de nouveaux outils pour améliorer les conditions de vie des femmes veuves de notre pays.
Lors de la célébration de leur 20ème anniversaire, j’ai été invitée à Blainville et on m’a honorée. C’était un moment d’émotions intenses pour moi.
Quels sont les organismes qui contribuent aux financements de vos activités ?
Au début, nous n’avions pas de soutien. Les femmes, dans les villages, faisaient de petits travaux champêtres pour pouvoir se nourrir. C’est une association ghanéenne qui nous a aidées au tout début pour agrandir les champs de cultures. Par la suite, j’ai eu à approcher lors d’une rencontre des veuves, la microfinance « Entrepreneur du Monde ». C’était en 2005, ils ont accepté d’encadrer 7 à 8 groupes de femmes veuves à Lomé en matière d’éducation, de santé, de spiritualité et d’entreprenariat. Cette microfinance a ensuite octroyé des prêts financiers à ces femmes.
Ensuite, nous avons reçu l’aide du FNAPP (Fonds National d’Apprentissage et de Perfection Professionnelle) qui nous a formées, encadrées et octroyées de petits prêts également. Avec eux, j’ai sillonné plusieurs villages avec les mêmes objectifs.
Nous avons aussi été encadrées par les équipes Notre Dame de l’Eglise catholique qui ont apporté un grand soutien à travers l’unité d’évangélisation. Les veuves réunies par un même sort ont une seule et même croyance : DIEU. Le fait que l’association soit catholique ne pose aucun problème. La BOAD nous a aussi soutenues avec une enveloppe de 3 500 000F CFA pour nous encourager et nous motiver à nous prendre en charge.
Depuis 2013, nous sommes encore plus heureuses avec Moov Togo qui a fait de nous « des voyantes parmi les non-voyantes ». On a tellement rêvé de ça. Moov est « vrai » et est un grand partenaire sur le plan financier et social. Plusieurs actions et dons sont à leurs actifs à ce jour. Notre association a bénéficié du projet WEENA qui veut dire « femme battante » ce qui a permis aux femmes de bénéficier gratuitement des kits de ventes de Flooz et de transfert de crédit pour se faire de l’argent.
Moov nous rend la communication gratuite au niveau du staff pour encourager le travail. Nous recevons de gros montants en nature pour nous soutenir et avancer. Tous ceux qui ont cru en moi et moi-même sommes fiers de ce partenariat. Je suis ambassadrice de Moov pour le projet WEENA depuis 2013.
Comment une veuve peut-elle vous rejoindre ou quels sont les critères d’adhésion ?
L’esprit d’Espérance & Vie ACVO Togo, bien qu’étant catholique, a pour objectif de rassembler les femmes veuves du monde sans distinction de races ou religions. Au Togo, nous sommes dans tous les quartiers. Certaines nous confondent parfois à une ONG d’aide et lorsqu’elles n’ont pas toute de suite ce qu’elles veulent, elles disent être mal accueillies. L’idée, c’est de fédérer nos forces, échanger nos idées et nous soutenir pour entreprendre ensemble. Nous sommes ouvertes à toutes. On y adhère et on en ressort librement sans condition.
La question « mi dji la gna » : On vous appelle NAKA, avez-vous une soeur jumelle ?
(Rire) Non, je n’ai pas de soeur jumelle. Ma venue au monde a été très pénible et mes parents ont supposé que ma sœur jumelle s’était sacrifiée pour que j’ai la vie. J’ai longtemps porté sur moi la statuette de « ma jumelle » comme le veut la coutume. Mais en réalité, je n’ai jamais eu de soeur jumelle.
Quel est votre plat préféré ?
J’aime toutes les variétés de légumes. J’aime la pâte et les feuilles du haricot ainsi que les feuilles de gboma.
Faites-vous du sport ?
Oui, je fais du sport et souvent j’aime bien faire la marche avec mes petits-enfants.
Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes couples pour une meilleure gestion de leurs biens au profit de leurs enfants ?
Je suis fière de découvrir des jeunes qui osent la vie à deux. Mais il faut être « vrai » au foyer, et dans tout ce que vous faites. Soyez battantes et être battante ne signifie pas rentrer à la maison allumer la télé sans savoir ce que font les enfants. Etre vrai, c’est aussi transformer le monde par le travail, vos approches et votre fidélité. Soyez complices avec votre conjoint.
Votre mot de la fin
Je suis une femme vraie, une femme de vérité. Je veux prendre ma retraite en conservant mon intégrité et me consacrer aux oeuvres de Dieu et à ma famille. Mais avant cela, je tiens à remercier tous ceux qui m’ont tendu la main et qui ont cru en moi, ainsi que tous ceux qui ont contribué à l’épanouissement de la veuve et de l’orphelin à travers leur soutien à Espérancevie ACVO Togo. J’aimerais pour terminer souhaiter à toutes et à tous, mes meilleurs voeux de santé, de paix et de bonheur pour la nouvelle année.
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