Femme battante, courageuse, passionnée et profondément patriote, Vivi ADJAMAGBO est restauratrice dans la ville de Lomé. Depuis plus de 20 ans, elle a réussi à faire de la cuisine de chez nous, une gastronomie alliant authenticité et modernisme, revalorisant aussi toute la cuisine africaine dans notre pays. Un parcours digne d’un chemin de croix fait de victoires, de déception, d’obstination et surtout de courage. Dagan Vivi a accepté de partager avec nous l’histoire de son grand amour : la cuisine. Amour qui n’a tenu que grâce à une passion dévorante et une foi indescriptible.
Qui est Dagan Vivi Royale ?
Bonjour Dagan Magazine, je m’appelle ADJAMAGBO Vivi Arougba. Je suis née le 05 juin 1957 à Lomé. Mon père s’appelle ADJAMAGBO Kodjo Paul. Il était médecin et ma mère ADOTE Dédé Cornellie, sage- femme. Je suis cheffe cuisinière de forma- tion, fondatrice et directrice du restaurant Vivi Royale qui a officiellement ouvert ses portes le 08 Avril 2000. Nous sommes situés à Lomé, au quartier Nyekonakpoe, 41, rue des moussons.
Que peut-on retenir de votre enfance ? A-t-elle été paisible ? Que pouvez-vous nous dire de vos frères et sœurs ?
Je dirais bien que j’ai eu une enfance heureuse et paisible. Nos parents étaient très attentionnés, ils ont toujours bien pris soin de nous. Leur métier les obligeait souvent à changer de ville, et comme j’adore les voyages et les découvertes, je m’amusais beaucoup. Nous sommes une grande famille de neuf enfants, donc la maison était toujours très animée. J’ai cinq frères et trois sœurs. Et grâce à la vigilance de nos parents, nous avons tous pu faire de bonnes études et chacun a réussi dans la voie qu’il s’est choisie.
Parlez-nous de votre cursus scolaire.
J’ai fait mes études primaires et secondaires au Togo et la classe de Terminale en France. Mes parents m’avaient envoyée faire la Terminale en France pour m’aider à m’accoutumer un peu (…) avant de commencer l’école de cuisine. Après le baccalauréat, pour mieux gérer le restaurant que je rêvais de créer, j’ai fait une école de gestion. Puis, j’ai appris la cuisine à l’ECOLE POT AU FEU. Pour maitriser toutes les facettes de mon métier, j’ai fait des formations en cuisine, en pâtisserie, en chocolaterie et même en boucherie. J’ai également fait des stages dans des restaurants et hôtels de Paris tels que Restaurant chez Geny, et la société hôtelière du PLM Saint Jacques. Je suis rentrée chez moiauTogoaprès29annéesenFrancedans le but de revaloriser la cuisine africaine et aider les jeunes à mettre en valeur leurs acquis.
Comment est née votre passion pour la cuisine ?
J’ai eu la chance de vivre aux côtés de ma grand-mère qui était une excellente cuisinière. Elle faisait des repas pour les grandes cérémonies et j’étais constamment avec elle. Ma mère aussi aime beaucoup faire la cuisine et est très méticuleuse. Déjà, à l’âge de dix ans, je faisais la cuisine pour toute la maison. Et quand maman était prise par son travail, je faisais même à manger pour les invités et tout le monde appréciait ma cuisine. Je passais tout mon temps libre à la cuisine à essayer de nouvelles recettes et plus je grandissais, plus j’étais certaine que la cuisine est tout ce que je voulais faire. D’où les différentes formations pour me perfectionner.
Quelles sont les autres activités de Madame Vivi ?
Je suis également la Présidente de l’Association Joséphine BAKHITA qui aide les femmes à développer leurs commerces ou à se réinstaller. Je suis un membre actif de l’UAGT crée depuis 2013 (Union des Acteurs de la Gastronomie Togolaise) qui partage les mêmes idées que moi. L’UAGT a initié le CHACUGATO (Championnat Culinaire sur la Gastronomie Togolaise) dont le but est de permettre aux cuisiniers de tout bord de se réapproprier les mets togolais et de les introduire à 80% dans les menus de tous les Restaurants et Hôtels- restaurants togolais.
Pourquoi Vivi Royale ? Quelle est son histoire ?
Depuis mon enfance, quand je regardais sur les boites de chocolat, je voyais les noms des chocolatiers et je rêvais de créer ma propre marque. Je m’appelle Vivi, c’est mon petit nom et dans notre langue, il symbolise tout ce qui est doux, savoureux, sucré et mielleux. Mes amis m’ont surnommée la Royale, parce qu’avec mon métier très prenant, j’étais très rare à leurs fêtes ; et dès qu’ils me voyaient, ils disaient tous « La Royale est là ». Alors, quand il a fallu trouver le nom du restaurant, j’ai pensé d’abord à « chez da Vivi », mais un cousin m’a fait remarquer que ça faisait « fufu bar » et non restaurant. J’ai donc finalement ajouté le surnom Royale à mon prénom Vivi pour faire un clin d’œil à tous mes amis et proches. Et pour tous, Vivi Royale est né d’un rêve qui s’est concrétisé.
Aujourd’hui, on peut affirmer sans se méprendre que Vivi Royale est une référence en matière d’art culinaire au Togo. Comment s’est fait le parcours ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Il faut avouer que la route a été longue et semée d’embûches. Mais grâce à ma ténacité et à mon courage, j’ai persévéré parce que je n’avais pas d’autre passion, ni d’autre centre d’intérêt que la cuisine. Les débuts ont été très difficiles, surtout quand je suis rentrée
diffcile de communiquer et de se faire com- prendre. Je devais les former encore et c’est là que je me suis rendue compte que la formation reçue préalablement était incomplète. Il faut souligner que ce qui était dur aussi était de voir les employés travailler avec nonchalance alors que nous sommes dans un métier où la ponctualité est plus qu’une obligation. Pour la petite anecdote, je me rappelle bien qu’au premier mois d’ouverture du Restaurant, après avoir payé les employés, je n’avais pas de quoi payer ma facture d’électricité. J’ai dû implorer l’indulgence de ma mère pour qu’elle me prête de quoi payer la facture d’électricité, scénario qui s’est répété à la fin du deuxième mois de travail. J’ai donc dû revoir les prix sur les menus et les augmenter un peu afin de pouvoir faire face aux charges, puisqu’au début, les prix étaient très abordables afin de permettre à tout le monde, quel que soit son rang social, de venir manger au restaurant.
Vous formez des jeunes dans votre domaine : quelle est la durée de la formation ? En quoi consiste-t-elle ? Quel est votre bilan ?
La formation en restauration chez Vivi Royale s’étend sur deux ans, elle est ouverte à tous les jeunes désireux d’apprendre les ficelles du métier. Et tant que je n’ai pas jugé l’étudiant apte et prêt, il n’obtient pas sa libération, même après la fin des deux années de formation. Comme ma priorité est de revaloriser la cuisine africaine, tous les plats sont enseignés et la pratique prime de beaucoup sur la théorie. Je leur enseigne la cuisine africaine et la cuisine française afin que mes étudiants soient capables de cuisiner tous les plats. Il est également essentiel pour l’apprenant de connaitre toutes les étapes du « marché à l’assiette » c’est-à-dire de l’achat des condiments au marché, de la préparation jusqu’au moment où le client est servi. La
Vivi Arougba ADJAMAGBO de la France. J’étais partie très jeune et je suis revenue en tant qu’adulte qui voulait donner sa part et apporter sa contribution au pays qui l’a vu naître. J’ai donc fait quelques stages dans des hôtels et restaurants de Lomé, pour voir comment cela se passait avant de mettre en place ma propre structure dans la maison de mes parents. J’ai engagé des employés et le plus grand défi était de gérer un personnel qui n’avait ni les compétences, ni la volonté de s’améliorer. J’avais engagé des gens qui avaient déjà une formation en cuisine et pourtant, il était très formation est complète et implique la présentation de la table et de la salle pour accueillir le client. Je pourrais dire sans me vanter et avec fierté que le bilan est positif et que tous les jeunes formés auprès de Vivi Royale sont désormais une référence dans le milieu de la restauration.
Pouvez-vous partager avec nos lecteurs et lectrices une anecdote qui a marqué votre vie professionnelle ?
Quand j’étais plus jeune, nos parents étaient très sévères : quand ils nous envoyaient, c’était tellement chronométré qu’on n’avait pas le droit à l’erreur. Sauf qu’à côté de notre maison, il y avait une dame qui tenait un foufou bar et je trouvais que sa sauce sentait tellement bon, que ses sauces dégageaient une odeur que je n’arrivais pas à reproduire malgré tous mes efforts. Alors un jour que maman m’avait envoyée, je me suis cachée pour voir comment la dame faisait sa sauce et j’ai remarqué que juste après la cuisson elle mettait du piment vert et recouvrait ensuite la sauce. Je me suis donc approchée d’elle pour lui demander pourquoi elle procédait ainsi : elle m’a expliqué qu’en fait le but était de donner à la sauce l’odeur de piment frais. Alors, dès que j’en ai eu l’occasion, j’ai fait ce qu’elle m’avait appris et toute ma famille était émerveillée par l’odeur de ma sauce. J’avoue que j’ai gardé cette astuce jusqu’à ce jour.
On constate qu’il y a beaucoup d’hommes dans le milieu de la restauration. Comment cela s’explique-t-il ?
En fait, les grands chefs étoilés sont des hommes. Justement quand j’étais en Terminale en France, l’administration nous a fait rencontrer des conseillers d’orientation
qui nous interrogeaient à tour de rôle pour savoir ce que nous voulions faire après l’obtention du diplôme. Quand j’ai dit à mon conseiller que je voulais être cuisinière, il m’a fait comprendre que c’était un métier d’hommes et que je n’avais rien à y faire. Mais j’ai tenu ferme- ment ma position et à la fin, il était dépité de n’avoir pas pu me convaincre. C’est très fréquent de voir les hommes dans le milieu de la restauration en France, mais c’est assez rare ici en Afrique. Toutefois, puisque les mentalités changent, les hommes s’y mettent peu à peu.
Comment arrivez-vous à faire le pont entre la vie professionnelle et la vie de famille ?
Dans ce métier, il est très difficile de concilier la vie professionnelle et la vie de famille, mais l’important est de savoir s’organiser et de faire la part des choses. Au début, par moment, je n’arrivais plus à faire la cuisine à la maison : je me contentais d’apporter à la maison les restes du restaurant, ce qui est scandaleux quand on sait que je passe la plupart de mon temps aux fourneaux. Alors, j’ai fait des efforts et de temps en temps, je fais plaisir à ma famille avec des plats succulents que je prépare moi-même à la maison.
Quel est votre secret pour bien gérer votre restaurant ?
Mon plus grand secret est ma présence constante à chaque étape du processus. Je fais moi-même mon marché, je choisis moi- même mes produits en exigeant la qualité, quel qu’en soit le prix. J’ai des fournisseurs avec lesquels j’entretiens une relation de confiance et qui savent exactement ce dont j’ai besoin. De ce fait, même quand je me rend pas au marché, la vendeuse de légumes me fait signe quand elle a des produits plus frais ; pareil pour le boucher qui m’envoie les parts dont il sait que je raffole. Une autre étape est aussi de savoir ranger les approvisionnements et de les gérer : savoir ce qui doit rester au réfrigérateur et ce qui doit être congelé. Ensuite, je suis toujours moi- même à la cuisine pour suivre la préparation pour que le client n’attende pas trop longtemps avant d’être servi, puisque la mise en place est toujours effective. J’ajouterai aussi que l’accueil des clients et la convivialité permettent de fidéliser la clientèle.
Quel a été l’impact du coronavirus dans votre secteur d’activité ?
Sincèrement, le coronavirus a porté un grand coup à nos affaires, surtout dans le domaine de la restauration. Le chiffre d’affaires a baissé de moitié, sinon de beaucoup plus. Aux heures de déjeuner, l’affluence a largement diminué, puisqu’il faut éviter les rassemblements de plusieurs personnes. Les gens ne viennent manger qu’après 14h et la plupart des clients préfèrent emporter les plats ou se faire livrer à domicile.
Quelle est votre dernière trouvaille culinaire ?
Comme je l’ai souligné plus haut, mon but est de revaloriser la cuisine africaine. En ce moment, je travaille beaucoup avec la patate douce qui ne contient pas d’amidon.
Elle est vivement conseillée aux diabétiques. Le plat s’appelle « Duchesse de patate douce ».
Quel est le plat sur lequel repose votre réputation ? Selon vous, qu’est-ce qu’il a de particulier ?
La réputation de Vivi Royale ne repose pas sur un seul plat, mais sur tout un ensemble qu’on peut inclure dans l’accueil, la présentation de la salle, la promptitude du service et la chaleur du cadre. Mais beaucoup de clients raffolent de notre «gbékui.» Je le prépare comme ma grand-mère me l’a enseignée et comme un magicien ne dévoile pas tous ses tours, passez plutôt goûter à notre plat de «gbékui» (rires). Il peut être accompagné de riz blanc, ablo, akpan ou de la pâte.
Quels conseils pour tous ces jeunes qui veulent se lancer dans la restauration ?
Ce que je leur conseillerais est de faire preuve de persévérance et de ténacité. Le métier est tellement dur et comporte tellement de contraintes qu’on ne peut pas y faire long feu quand on ne l’aime pas. Le secret pour bien faire tout ce qu’on entreprend est d’être passionné et d’avoir de la volonté. L’essentiel est de ne pas céder au découragement et de ne pas jeter l’éponge à la première difficulté. Un auteur français a écrit qu’il n’y a que nos passions qui font que la vie mérite d’être vécue. Quand les difficultés veulent avoir raison de notre volonté, seule la passion que vous avez pour votre métier peut vous porter et vous propulser.
Qu’est-ce que vous estimez être votre plus grande réussite ?
Je pense que ma plus grande réussite, c’est la création du Restaurant Vivi Royale. Et avoir eu le courage de me battre jusqu’à ce jour pour maintenir ce niveau de qualité, reste ma plus grande force. Malgré les embûches qui ont parsemé ma route, ce restaurant que j’ai tenu à bout de bras pendant deux décennies est ma plus grande fierté et ma plus grande réalisation. J’y ai mis mon cœur, ma tête mon énergie et mon âme. Et même s’il m’est arrivé de me décourager, j’ai su puiser du réconfort dans ma foi et dans l’amour de mes proches.
Quel est votre plat préféré parmi tous ceux dont vous avez le secret ?
Personnellement, j’adore le«Gbékui»en souvenir de ma grand-mère. J’aime aussi la bonne «Paella» et les fruits de mer.
En tant que Dagan, quels conseils donneriez-vous à la jeune fille togolaise ?
Chères Davis, ne baissez surtout pas les bras.
«Ayez toujours le courage de poursuivre vos rêves et de les réaliser.» Le chemin est long et difficile, mais le discernement, le courage et la prière vous permettront de mener à bien tous vos projets. Aucune victoire n’est facile à obtenir. Il faut la mériter par un travail acharné et une grande obstination. Je vous souhaite de soulever des montagnes par votre foi, parce que tant que vous y croyez, vous pourrez réaliser de grandes choses.
Comment entrevoyez-vous l’avenir ?
L’avenir est de plus en plus incertain, mais il peut être radieux si nous nous organisons bien, si nous prions, si nous avons un bon discernement et si nous sommes courageux, nous arriverons toujours à tirer notre épingle du jeu.
Mot de fin?
Je remercie toute l’équipe de Dagan Magazine de m’avoir choisie et de m’avoir offert une aventure sans pareille. Je vous encourage également pour ce travail de revalorisation de la femme togolaise et de ses accomplissements. Car la femme togolaise est talentueuse : elle est donc à féliciter et à encourager continuellement. Merci pour ces moments émouvants partagés avec l’équipe et courage à toutes les femmes qui essayent d’accomplir leurs rêves.
Propos recueillis par Martine ABOTCHI